Paulin J. Hountondji (1942 – 2024) : Hommage à un Grand Penseur
C’est avec une profonde tristesse et un sentiment de grande perte que le Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales en Afrique (CODESRIA) a appris le décès de l’éminent philosophe béninois, le Professeur Paulin Hountondji. Né le 2 février 2024. Le Professeur Hountondji est devenu une éminente figure intellectuelle et un grand érudit, qui a marqué la discipline de la philosophie, à travers ses idées inégalées et en élaborant de nouvelles réflexions dans le domaine de la philosophie africaine. Ses contributions ainsi que celles des regrettés philosophes Kwesi Wiredu, Kwame Gyekye et Henry Odera Oruka, ont enrichi de sens et de profondeur les débats clés qui avaient lieu parmi les Africains engagés dans la réflexion philosophique en Afrique.
L’intellect profond du Professeur Hountondji et son dévouement à l’avancement de la recherche ont laissé une empreinte durable sur le paysage intellectuel africain. Il a exercé un leadership audacieux à un moment critique de l’histoire intellectuelle de l’Afrique, en remettant en question la sagesse conventionnelle de la philosophie africaine, jouant ainsi un rôle pivot dans la définition du discours philosophique en Afrique. Ses productions marquantes sur ce sujet comprennent une analyse du mythe et des réalités de l’existence de la philosophie africaine dans le livre intitulé « Sur la philosophie Africaine : critique de l’ethnophilosophie » (1976). Ce travail, traduit en anglais sous le titre « African Philosophy : Myth and Reality » (1983), a catalysé un débat robuste et continue, au fil des décennies et continue d’influencer et d’inspirer de nombreux penseurs africains.
Le parcours intellectuel du Professeur Hountondji était étroitement lié au CODESRIA dans les années 1990, où il s’impliqua dans un projet original soutenu par le Conseil, et qui aboutira à la publication de son ouvrage célèbre en 1994, « les Savoirs Endogènes : Pistes pour une Recherche », traduit en anglais sous le titre « Endogenous Knowledge : Research Trails » publié en 1997. Selon le Professeur Tade Akin Aina, sous la direction duquel le livre a été publié, le Professeur Hountondji a entretenu une relation étroite avec le CODESRIA, s’immergeant dans les affaires intellectuelles et de gouvernance du Conseil. Entre autres, il a été une personne ressource lors de l’institut des Humanités Africaines qui s’est tenu en 1999, organisé à l’Université du Ghana Legon par le Professeur Kofi Anyidoho, et dirigé par le Professeur Kwamé Gyekye. Réuni à l’institut sur le thème « Philosophe Africaine », les lauréats ont été exposés aux débats de longue date sur l’ethnophilosophie. Le Professeur Gyekye venait de publier son ouvrage « Tradition and Modernity: Philosophical Reflections on the African Expérience » et le Professeur Hountondji était présent pour célébrer l’éloignement de l’approche ethno-philosophique dans ce livre. En fin de compte, le Professeur Hountondji a non seulement identifié l’extraversion massive des connaissances sur l’Afrique, mais a également remis en question la manière dont les études africaines pouvaient être comprises comme étant africaines, compte tenu de cette grande extraversion. Il a tenté de combler ce fossé d’extraversion par un travail complémentaire sur les savoirs endogènes. Il est désormais largement reconnu que son héritage durable dans le travail qu’il a réalisé avec le CODESRIA peut être mieux saisi à travers les notions d’ »extraversion » et de « savoirs endogènes ».
Le Professeur Hountondji a été plus tard élu en tant que membre du Comité Exécutif du CODESRIA lors de la 10e Assemblée Générale tenue à Kampala en Ouganda en 2002 et a occupé le poste de Vice-Président du CODESRIA sous la présidence de Zenebeworke Tadesse (2002-2005). Il a continué à collaborer avec le Conseil même après son départ du Comité Exécutif, apportant des contributions inestimables à la mission panafricaine du Conseil, visant à promouvoir la recherche et à encourager les débats intellectuels dans les sciences sociales et les humanités. A ce jour, ses contributions au sein du CODESRIA et de la communauté demeurent inestimables.
Son engagement envers la recherche du savoir était inébranlable, comme en témoigne sa dévotion à l’apprentissage tout au long de sa vie. Même après avoir obtenu une reconnaissance académique et intellectuelle, et bien après avoir obtenu un Doctorat de l’Université Paris Nanterre en 1970, le Professeur Hountondji est resté un étudiant tout au long de sa vie. Poursuivant ses études pour obtenir son Doctorat d’Etat à l’Université Cheikh Anta Diop sous la Direction du Professeur Souleymane Bachir Diagne. Sa thèse de Doctorat publiée sous le titre « Combats pour le sens : Un itinéraire Africain » en 1997, et plus tard traduit en anglais en 2002 sous le titre « The Struggle for Meaning : Reflections on Philosophy, Culture and Democracy in Africa » est également devenu un texte classique dans l’étude de la philosophie.
En plus de ses activités universitaires, le Professeur Hountondji a brièvement servi au sein du gouvernement de la République du Bénin, occupant les fonctions de Ministre de l’Education de 1990 à 1991, puis de Ministre de la Culture et de la Communication de 1991 à 1993. Son héritage au sein de la sphère politique a perduré même après sa démission en 1994. Il retournera ensuite dans l’enseignement et fut Professeur de Philosophie à l’Université Nationale du Bénin et a également occupé le poste de Directeur du Centre Africain d’Etudes Supérieures à Porto-Novo, au Bénin.
Suite au décès du Professeur Hountondji, le Conseil présente ses condoléances les plus attristés à la famille, aux amis, aux collègues ainsi qu’à la grande Communauté académique et béninoise en particulier. Ce fut un honneur et un privilège, que le Professeur Hountondji ait consacré autant de temps et ses contributions intellectuelles au CODESRIA. Le Conseil est conscient de ce privilège mais il est également heureux de partager l’héritage qu’il laisse derrière lui. Pour honorer son héritage, le CODESRIA restera résolument engagé dans la promotion de ses réflexions critiques et la recherche du savoir dans les sciences sociales et les humanités. Au moment où nous disons adieu à un érudit de renommé, que sa flamme intellectuelle continue d’inspirer les générations à venir.
